Stéphane Dumas — EPITHELIA
Photo de couverture : Bleu Remix, performance de Yann Marussich.
Photo © Marc Grémillon / Yann Marussich
1 Article princeps paru en allemand : « Der Mythos des Marsyas. Ein Bild-Paradigma », Häutung. Lesarten des Marsyas-Mythos, ss. la dir. de Ursula Renner et Manfred Schneider, Munich, Fink, 2006, p. 263-289. En anglais : « The return of Marsyas: Creative skin », Sk-Interfaces, ss. la dir. de Jens Hauser, Liverpool University Press, 2008, p. 18-31.
2 Ursula Renner et Manfred Schneider, « Die Aktualität des Marsyas », Häutung. Lesarten des Marsyas-Mythos, ibid.
3 Ibid., les italiques sont de Jens Hauser.
4 Stéphane Dumas, « The return of Marsyas: Creative skin », Sk-Interfaces, p.19.
Présentation de l’ouvrage à la librairie Guillaume Budé – Les Belles Lettres, Paris, le 14 mai 2014, avec, de gauche à droite : Raphaël Cuir, ORLAN, l’auteur, Bernard Andrieu et Marc Jimenez.
« (...) cette peau créatrice dont vous avez frappé la formule et la notion pour y saisir rien de moins que le geste artistique lui-même : le geste d’un retournement de l’épaisseur impénétrable et indéchiffrable en une surface sur laquelle la profondeur affleure, non pas en signes de décryptage mais “en sécrétion plutôt qu’en inscription ou en projection”. Ce terme de “sécrétion” donne une frappe conceptuelle inédite, inouïe vaudrait-il mieux dire, à ce qu’en effet “inscription” ou “projection”, et plus anciennement “expression” ou “manifestation” étaient chargés de faire entendre. Avec “sécrétion” résonne “concrétion” tandis qu’à d’autres pages vous évoquez l’excrétion : toujours des façons de mue, non de transposition. De manière plus globale encore, et en reprenant un terme dont vous usez à la même page, il s’agit de passer d’une logique de la “transposition” à une logique de l’”exposition”: de l’être-tourné-au-dehors – mais d’un retournement qui se retourne aussi bien en dedans, qui fouille l’épaisseur en l’exposant. Affaire d’entre-deux, comme il en va du satyre. (...)
Je veux seulement revenir de là vers un motif qui s’y rattache étroitement et qui joue à mon sens un rôle capital dans votre travail : c’est celui du rapport entre dedans et dehors. Ce motif est central, il est le motif même de la peau – d’abord surface et interface, milieu d’échanges, puis épaisseur dont le retournement excave en quelque sorte et expose un “dedans” qui n’aurait pas lieu sans lui. Vous cherchez ainsi à vous écarter le plus loin possible des modèles de l’expression ou de la transposition du dedans par ou comme un dehors. Vous cherchez, à très juste titre, à forcer le partage entre un contenu et une forme, entre une Idée et son expression sensible, entre un sens intelligible et un sens sensible. Vous mettez ainsi en garde, quoique sans le faire de manière déclarée, contre une surcharge de contenu, de signification qui menace souvent la posture artistique contemporaine. Vous indiquez quelque chose qui serait plutôt de l’ordre de ce qu’Adorno nomme l’apparition, qui n’est ni apparence représentative, ni forme ordonnatrice, mais “surgissement d’un non-étant comme s’il était” (Adorno, Théorie esthétique, p. 123). Je suggérerais que ce “non-étant” est chez vous la profondeur que l’épaisseur de peau, se retournant, offre en surface. Le non-étant est chez vous, paradoxalement, la “concrétion” même, cette “concrétion géologique” que vous nommez, et cette “remontée de formes chaoïdes” qui l’accompagne. Le non-étant, l’informe, le non déterminé de l’épaisseur même. Non pas un contenu traduit, pas non plus donc un sujet-artiste exprimé, mais le dehors apparaissant en tant que dedans, dedans sans intériorité, sans provenance enfouie, dedans égal de part en part à son exposition. Qu’une profondeur s’égale à sa surface, s’épuise et s’exalte en elle, voilà sans doute ce qui fait la peau détachée du corps, ou bien le corps retourné en sa peau, corps de désir et corps de jouir dont votre travail repère l’insistance comme un motif majeur de ce qui hante le souci contemporain de ce que peut vouloir dire l’ “art “ ».
Jean-Luc Nancy (extrait de la préface)
« Sans vouloir tout reprendre de ce travail magistral – qui éclaire les processus de tous ceux qui, à leur insu peut-être, se sont inspirés du mythe apollinien et non moins dionysiaque –, nous tenons à mettre en lumière l’une des originalités de cet ensemble. (...) Stéphane Dumas refuse la continuité de l’histoire de l’art qui se dématérialise. À disposer le cutané (détaché et surtout traité, aminci et durci) au dehors, on lui enlève sa profondeur. Stéphane Dumas s’oppose à un remplacement qui le diminue et le perd. Le mythe de Marsyas l’a aidé à reconnaître l’épaisseur et la dialectique qui anime l’essence du cutané. Au lieu de tenir celui-ci pour une enveloppe ou un sac à viscères, voyons plutôt en lui un modèle dynamique. (...) Les techniques du support ont méconnu le support, ou l’ont dévitalisé et exténué. L’ouvrage de Stéphane Dumas a su le revivifier et l’animer. »
François Dagognet (extrait de la postface)
« Le supplice de Marsyas, l’insolent satyre musicien qui osa défier Apollon, devient pour Stéphane Dumas le paradigme même de la création plastique et esthétique : “Le dieu le dépouilla de sa peau velue en le suspendant à une branche et il en fit une outre animée : souvent, au sommet de l’arbre, le vent qui s’y engouffrait lui donnait forme à son image, comme si le pâtre babillard chantait à nouveau” peut-on lire dans les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis.
Ce mythe, Stéphane Dumas le transforme en principe artistique : la peau de l’écorché vif, “ baudruche polymorphe ”, n’est pas un simple rebut : non seulement le sinistre trophée se transforme en une peau frémissante et chantante, mais elle devient un instrument de création majeur puisque Marsyas, le musicien, survit dans son tégument et s’impose lui-même comme matière de l’art. Le couple Apollon-Marsyas peut, dès lors, être interprété, selon Dumas, comme le modèle du processus créateur : l’artiste est celui qui s’écorche symboliquement, retourne sa peau afin d’en offrir l’épaisseur, la chair, comme médium de nos représentations du monde.
Encore faut-il analyser, diagnostiquer et interpréter le “travail” de cette peau, identifier les différents régimes sous lesquels, dans des pratiques et des œuvres d’époques différentes, de l’art ancien au bio-art, elle fait surface, ou plutôt se révèle en surface, exsude en efflorescences, secrétions, frémissements, affleurements et concrétions, devient palpable, perceptible, liminale. Stéphane Dumas excelle en cette façon d’élaborer une passionnante et fascinante esthétique de la liminalité. »
Marc Jimenez
« Les peaux créatrices de Stéphane Dumas m’ont beaucoup touchée car, non seulement c’est un excellent livre, mais il est écrit par un artiste, “un collègue”, qui rebondit sans cesse de la théorie à la pratique et de la pratique à la théorie. Il met en perspective mes œuvres, dont mes opérations-chirurgicales- performances, cette série qui a été entreprise à la lecture d’un texte lacanien d’Eugénie Lemoine-Luccioni dans son livre La robe. (...) Un chapitre intitulé “La seconde peau” m’a poussée à reconsidérer mon enveloppe. Il s’agit de muer, de changer de peau jusqu’à faire disparaitre pour un temps le corps. C’est à la lecture de ce texte que l’idée de percer la peau, d’ouvrir le corps, de l’attaquer pour échapper a l’interdiction de la psychanalyse et de la religion, qui s’accordent sur le fait qu’il ne faut pas toucher au corps, c’est à dire de mettre de la figure sur mon visage, donc de la représentation. Cette idée m’a traversée lors de la lecture au passage à l’acte.
Les “peaux créatrices” vont peut-être me servir à créer autre chose, à rebondir mais aussi à être multiple. “Chacun de nous était plusieurs” comme écrivent Deleuze et Guattari dans la première phrase de leur livre Mille plateaux. Pensons aussi à la belle formule de Nietzche : “Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité”.
Actuellement j’ai ôté, arraché la peau et j’ai élaboré des autoportraits de moi en 3d et en écorchée qui se montrent en vidéo. Strip-tease majeur, voir en dessous, voir à l’intérieur, voir la vérité. (...) Aller voir toujours en dessous en profondeur, le regard en apnée, montrer l’immontrable grâce à l’image médicale et/ou l’ouverture du corps, l’en-dessous de ce qui a été nommé l’enveloppe. Enlever des peaux. (...) De strip-tease en strip-tease je montre qu’il n’y a rien hormis la déchirure l’écorchement même qui dit littéralement la sensation d’être écorchée dont parle Stéphane Dumas. (...)
Mais l’enveloppe disparait. Elle n’est pas gonflée par le vent. Elle ne chante pas. Il n’y a pas de revisitation. Il n’y a plus d’interface, que la liberté d’inventer de créer de construire sa singularité sans être punie par Apollon, bien que dérèglant la nature et chatouillant les dieux qui ne sont pas pour moi une hypothèse de vie ou de travail. (...) Les dieux sont trop d’un autre temps pour pouvoir comprendre la peau de l’autre et ce qui se passe dans les laboratoires. La peau qui peut être remplacée et est produite en laboratoire, la peau dite artificielle et qui fait partie des avancées scientifiques et médicales au même titre que les greffes de cœur (Jean-Luc Nancy au cœur greffé est préfacier du livre), et aussi n’oublions pas les transplantations de visage, donc de peaux jointes dans un entre-deux de peaux créatrices et de matière d’être, d’un être hybridé capable d’humanité et d’art. »
ORLAN, Paris, mai 2014
« (...) on ne peux qu’être passionné et très concerné par votre livre et votre conception d’une esthétique de la liminalité, (...) par l’idée que “la création et l’expérience de l’art soient une sécrétion-absorption et même un échange de peaux” (p.29), d’autant plus que j’ai moi-même tenté de montrer les liens étroits qui se tissent entrer l’art, l’anatomie, et la connaissance de soi que vous éclairez d’un jour nouveau avec votre Marsyas, figure de l’autre, et votre Apollon, figure du même. Votre hypothèse, et même votre thèse, c’est que l’artiste est au fond “celui qui s’écorche symboliquement, retourne sa peau afin d’en offrir l’épaisseur, la chair, comme médium de nos représentations du monde”. (...)
Vous avez souligné votre dette à l’égard de Didier Anzieu, en particulier son ouvrage, pour moi aussi fondamental, Le Moi-peau. Didier Anzieu identifie une méthode épistémologique qu’il qualifie à juste titre d’obsession de la pensée occidentale depuis la Renaissance : “connaître, c’est briser l’écorce pour atteindre le noyau” (D. Anzieu, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1995, p. 31). Vous avez rappelé qu’elle a sa source dans les interprétations platoniciennes et néoplatonicienne du mythe de Marsyas, « interprétations qui reposent, je vous cite, sur les notions de noyau comme essence et d’écorce comme déchet » (p. 97). Didier Anzieu montrait les limites de cette méthode en même temps qu’il en annonçait la fin en soulignant un paradoxe pour le moins fécond et essentiel à votre approche comme a celle de François Dagognet, “le centre est à la périphérie” : binôme cerveau-peau.
D’où la pertinence d’une “Esthétique de la liminalité” alors que les limites traditionnelles tendent à disparaître, par exemple dans notre devenir cyborg qui s’accomplit de manière toujours plus homogène, avec nos mémoires atomisées, dispersées dans nos disques durs, mais aussi dans le fameux cloud d’échelle planétaire. »
Raphaël Cuir, Paris, mai 2014
L’art d’émerser son vivant à travers sa peau
“J’aime ta mollesse intérieure... la flexibilité des muqueuses contre la rigidité des codes”
Francis Métivier, Dans ton corps, 2014, 27.
« La peau n’est plus seulement reçue, elle est selon Stéphane Dumas créatrice. Dans sa thèse enfin publié, Les peaux créatrices, esthétique de la sécrétion, l’artiste et théoricien de l’art dépasse la théorie du moi-peau de Didier Anzieu en désenveloppant la surface topologique pour laisser passer à travers la peau : l’enveloppe est remplacée par la perméabilité de la peau. Comme “médium vivant”, la peau est comprise ici “à travers l’épaisseur cutanée, comme l’absorption et la sécrétion, ce qui leur confère parfois une dimension non visuelle, de l’ordre du toucher, de l’odorat ou du goût”. Comme le souligne Jean Luc Nancy dans la préface en date de 2006, la dialectique du dedans et du dehors qui oppose ontologiquement l’intérieur et l’extérieur de la peau doit être désormais dépassée pour décrire “le non-étant, l’informe, le non-déterminé de l’épaisseur même”. Ainsi les arts de la sécrétion, de l’absorption et de la porosité définissent une esthétique du devenir et un processus émersif : la peau est “manière de faire surface” dans des processus biologiques et géologiques en transportant toute l’épaisseur dans la partie visible de nous-mêmes. (...)
• La Peau objectivée par une 3ème personne (Peau exposée) -------------- REFLEXION
• La peau vécue en 1ère personne (Image du Corps subjectif) -------------- EMERSION
• La peau vivante en personne (Schéma corporel in vivo) -------------- IMSERTION
Composer en dessous de la peau en laissant s’émerser les sensations implique une théorie de l’émersion qui ne soit pas une émergence volontaire, suscitée par la conscience, mais un mouvement involontaire du vivant lui-même, dont la conscience peut recueillir l’intensité dans ce que nous appelons le vécu. (...) »
Bernard Andrieu (extraits de « L’art d’émerser son vivant à travers sa peau »)
Qui a peur de l’entre-deux ?
« La notion de réflexivité de l’écorchement devient encore plus significative si l’on considère que, dans de nombreuses représentations anatomiques, l’”objet” de l’écorchement participe en tant que “sujet” à son propre écorchement, apparemment sans peine et avec nonchalance, comme si le seul enjeu était d’accroitre la connaissance que nous extrayons du corps. C’est précisément cette réflexivité que nous observons dans le mythe grec de Marsyas, le duel entre Marsyas et Apollon dont l’aboutissement est le châtiment de Marsyas écorché vif. Dans cette lutte entre l’ordre et le chaos, “des différences fondamentales sont en jeu. Les domaines de Dionysos et d’Apollon divisent l’univers intellectuel grec : d’un côté le pessimisme sombre de Silène, de l’autre la science apollinienne, lumière de la rationalité.”2 C’est une lutte autour de “sophia, autour de la forme de la connaissance”3. Stéphane Dumas lit le mythe de Marsyas, dans une certaine mesure, comme l’image miroir du paradigme sujet/objet, (...) préoccupation centrale de l’épistémologie. Mais il intervient en tant qu’instance d’un écorchement où la peau devient une interface réflexive – et certes, dans plus d’une interprétation du mythe, la peau d’Apollon semble fusionner avec celle de Marsyas. Quoi qu’il en soit, c’est Apollon qui remporte le duel et prend le dessus – l’une des raisons pour lesquelles Apollon gagne ce duel : il superpose le chant au jeu instrumental, ce que son rival ne peut accomplir en jouant de la flûte. Certes la voix d’Apollon n’est pas celle de l’ego moderne. Mais c’est une voix signifiante, celle du logos, face à la musique purement instrumentale de son rival.4 – et semble ainsi représenter le logo- et phonocentrisme de la culture occidentale.
Dans ce contexte, nous pouvons réviser notre compréhension de l’”interface”, dépassant la notion limitée de transmetteur d’information, de connection entre des entités analogiques et numériques qui entrent en relation grâce à des protocoles communs de type langagier. Apollon et Marsyas ont tous deux des visages (faces) entre (inter) lesquels se trouve la corporalité de la peau. »
Jens Hauser (extrait de « Who’s Afraid of the In-Between ? », Sk-Interfaces,
Liverpool University Press, 2008, p. 9 et 10)
« Parce que “notre rapport au monde prend souvent l’aspect d’un épiderme” et que “presque tout est affaire de membranes” et de “franchissements de frontières”, particulièrement dans le domaine artistique, Stéphane Dumas a fait de la peau l’objet de son étude. A l’origine de sa réflexion entre philosophie esthétique et anthropologie, il y a le supplice de Marsyas, ce satyre musicien qui eut le malheur de défier Apollon et finit écorché vif. Marsyas est ici considéré comme le paradigme de la création plastique : comme Marsyas, l’artiste s’écorche et retourne sa peau pour l’offrir en partage. A la fois surface cutanée visible qui nous relie au monde et tout entière reliée à nos viscères, la “peau créatrice” dont parle Stéphane Dumas est une zone de tensions, d’échanges permanents. Et les démarches des artistes qu’il a ici conviés sont multiples. Il y a ceux qui utilisent la peau comme un support, à l’instar du duo Aziz+Cucher, avec leurs intérieurs faits de tégument, d’Anish Kapoor qui, en 2003, avait envahi le hall de la Tate Modern de Londres d’une immense membrane rouge, de Marc Quinn, qui expose des moulages de son enveloppe charnelle, ou encore de Kira O’Reilly, adepte de performances mutilatrices. Et puis il y a les artistes qui travaillent “plus en profondeur” (au sens littéral), cherchant à pénétrer le tissu organique par absorption, sécrétion, incorporation ou concrétion. Jouant sur des sentiments ambivalents, souvent extrêmes, leurs œuvres sont le résultat de processus qui mettent à contribution le corps, faisant du spectateur un participant. Ainsi, en 2006, Sissel Tolaas a prélevé des échantillons de sueur de personnes en état de vives émotions dont elle a reproduit les molécules en laboratoire. Elle en a créé un liant de peinture dont elle a couvert les murs de son exposition, qu’il fallait toucher puis humer. Thomas Hirschhorn, lui, dans son installation Concrétion, en 2006, avait doté des mannequins d’excroissances de ruban adhésif, soulignant qu’il voulait “donner de l’importance et de la profondeur à quelque chose - une blessure”. Dans cet essai à fleur de peau, la création devient une sorte de partage des corps, ceux de l’artiste, du public et de l’œuvre. »
Daphné Bétard (« Un rapport épidermique à la création », Beaux Arts Magazine, n°360, juin 2014)
« Ayant perdu son défi contre Apollon et sa lyre, le dionysiaque joueur d’aulos Marsyas est écorché vif. Sa peau, retournée, pendue à un arbre, gonflée comme une baudruche par le vent, laisse échapper des sons. Métamorphose conforme à l’esthétique de Hegel, qui voyait dans l’art une spiritualisation de la nature. Ce n’est qu’un début, la dépouille du satyre se mue en mouvement baroque chez Ribera : tourbillon d’étoffe qui unit en miroir inversé, comme une pelure d’écorce, vainqueur et vaincu. Mais la plus étrange figure du joueur de flûte, reste celle du Titien. À l’heure de son ultima maniera, le Vénitien n’aurait pas hésité à modeler les pigments avec les doigts, autant dire la cruauté du couteau. Dans son Supplice de Marsyas, matière et esprit jouent selon des rapports à jamais instables: l’épaule et l’avant-bras du personnage au bonnet, “si écrits vus de loin, semblent disloqués et faits de touches en suspension, lorsqu’on s’approche“, et devant la toile, certains détails anatomiques “disparaissent au profit des flux de la matière picturale jetée”.
Armé d’une documentation aussi exhaustive que précise, qui mêle la science et l’art, Stéphane Dumas poursuit son enquête sur les traces de ces dépouilles du corps. Et du saint Barthélémy de Michel-Ange à Marc Quinn, de Thierry Kuntzel à ORLAN, flotte la plainte qu’Ovide met dans la bouche de Marsyas s’adressant à son bourreau: “Pourquoi m’arraches-tu à moi-même?” Aux âmes sensibles, que nombre d’illustrations de ce volume pourraient choquer, il convient de répondre avec Hegel encore : “C’est seulement chez l’homme civilisé que les changements de forme, de comportement et de tous les autres aspects extérieurs procèdent d’une culture spirituelle.” »
Michel Vignard (ArtPress, n°413, Juillet-Août 2014)
« (...) L’”art charnel” d’Orlan s’apparente plutôt, selon le théoricien d’art Stéphane Dumas, a des actions telles que l’implantation d’une puce électronique de repérage des animaux dans le corps d’Eduardo Kac, ou l’injection de sang de cheval dans son propre sang, par Marion Laval-Jeantet. II y associe aussi l’artiste plasticien australien Stelarc, qui s’est fait greffer une oreille sur le bras, et qui voit le corps comme “un appareil biologique que l’on peut ‘redesigner’”. La peau est un instrument de création majeur qui renvoie, détaille Stephane Dumas dans son ouvrage paru en avril, Les Peaux créatrices.
Esthétique de la sécrétion (Klincksieck), “au mythe grec de Marsyas”, ce satyre musicien écorché vif pour avoir osé défier Apollon et dont la peau, suspendue a une branche et gonflée telle une outre par le vent, chante encore. “Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme, c’est la peau”, écrivait déjà Paul Valery dans L’Idée fixe (1931). (...) »
Véronique Lorelle (extrait de « Sculpteurs de chair », Le Monde, 5 juillet 2014, supplément Culture & Idées, p. 3)
Ce livre a comme sujet la peau et les arts visuels :la peau comme processus créateur et la création comme sécrétion. Il prend pour modèle de « peau créatrice » le tégument dépiauté du satyre Marsyas dont il suit les traces depuis la mythologie grecque jusqu’à l’art contemporain, tissant un dialogue étroit entre les œuvres, les démarches artistiques qui les produisent, les expériences esthétiques qu’elles suscitent et la théorie qui essaye de les penser. Il part de l’hypothèse selon laquelle l’artiste – public inclus – s’écorche symboliquement et retourne sa peau afin d’en offrir l’épaisseur, la chair, comme médium de nos représentations du monde. En prenant appui sur des travaux d’anthropologues, il pose les jalons d’une esthétique de la liminalité, c’est-à-dire de la périphérie, des bords, des seuils et des échanges. → PDF PRÉSENTATION DU LIVRE
EAN13 : 9782252039168
494 pages. Bibliographie,
index et glossaire.
117 illustrations viennent
enrichir cet ouvrage.
Cahier couleur de 30 pages.
Prix : 45 €
Annonce du livre sur le sitede Klincksieck Attachée de presseDany de Ribas :d.deribas@lesbelleslettres.com DiffusionStéphane Marcinkowski :a.marcinkowski@lesbelleslettres.com
Stéphane Dumas © 2024
Les peaux créatrices,
esthétique de la secrétion
Klinksieck, Paris, coll. d'Esthétique, 2014.
Ce livre a comme sujet la peau et les arts visuels :
la peau comme processus créateur et la création comme sécrétion. Il prend pour modèle de « peau créatrice » le tégument dépiauté du satyre Marsyas dont il suit les traces depuis la mythologie grecque jusqu’à l’art contemporain, tissant un dialogue étroit entre les œuvres, les démarches artistiques qui les produisent, les expériences esthétiques qu’elles suscitent et la théorie qui essaye de les penser.
Il part de l’hypothèse selon laquelle l’artiste – public inclus – s’écorche symboliquement et retourne sa peau afin d’en offrir l’épaisseur, la chair, comme médium de nos représentations du monde. En prenant appui sur des travaux d’anthropologues, il pose les jalons d’une esthétique de la liminalité, c’est-à-dire de la périphérie, des bords, des seuils et des échanges.
EAN13 : 9782252039168
494 pages. Bibliographie,
index et glossaire.
117 illustrations viennent
enrichir cet ouvrage.
Cahier couleur de 30 pages.
Prix : 45 €
MENU
1 Article princeps paru en allemand : « Der Mythos des Marsyas. Ein Bild-Paradigma », Häutung. Lesarten des Marsyas-Mythos, ss. la dir. de Ursula Renner et Manfred Schneider, Munich, Fink, 2006, p. 263-289. En anglais : « The return of Marsyas: Creative skin », Sk-Interfaces, ss. la dir. de Jens Hauser, Liverpool University Press, 2008, p. 18-31.
2 Ursula Renner et Manfred Schneider, « Die Aktualität des Marsyas », Häutung. Lesarten des Marsyas-Mythos, ibid.
3 Ibid., les italiques sont de Jens Hauser.
4 Stéphane Dumas, « The return of Marsyas: Creative skin », Sk-Interfaces, p.19.
MENU